Touches pas à la madame. [PV: Kira Matsuda ]

La vaisselle s'entrechoquait, l'eau coulait dans l'évier puis un chiffon finit par voler sur son visage, tirant Ivan de sa rêverie spontanée pour le plonger dans le monde réel. Quand il le retira, il sembla quelque peu perplexe en se demandant ce que sa mère pouvait bien lui vouloir.

Là, dans la cuisine, elle le regardait avec insistance, lui tendant une assiette humide en attendant qu'il la saisisse enfin.

« Vanya, tu m'écoute..? Tu ne bougeait plus, voilà pourquoi t'as reçu le torchon sur la tête. »

Il émit juste un simple bruit pour répondre à l'affirmative, ne prenant pas la peine d'en faire plus. Il avait l'impression de se réveiller d'une sieste de six heures et sa tête lui sembla horriblement lourde à cet instant, alors moins il s'en servait et plus il avait de chance de se tirer de cet état de semi-conscience... Du moins il l'espérait profondément.

En regardant par la fenêtre tout en essuyant la vaisselle, il se rendit compte que le soleil allait à peine se coucher maintenant. Ils avaient mangé plus tôt que d'habitude et ce petit détail lui trotta un bon moment en tête malgré sa désuétude.

Une fois la corvée terminée, sa mère partit prendre sa douche, laissant un moment de solitude au russe. C'était toujours un temps qu'il prenait pour se détendre mais, cette fois, rien n'y faisait. Plein de choses tournaient sans cesse dans sa tête, remplaçant à elles seules le silence environnant. Il finit par se mettre en tête que sortir de son cocon et entendre réellement quelque chose lui ferait du bien, surtout à cette heure-ci.

Avant de quitter le domicile, il prit la peine de prévenir sa mère à travers la porte qui lui posa d'innombrables questions pour savoir où il allait exactement, ainsi que s'il avait son téléphone sur lui tout comme les clefs de la maison. Malgré son âge, sa mère avait encore le don de le materner mais cela ne l'exaspérait pas. Il comprenait bien qu'elle était juste inquiète et que cela n'avait pas pour but de l'infantiliser.

Une fois à l'extérieur, Ivan se rendit immédiatement dans les rues animées. Il voulait voir, entendre et vivre la vie nocturne du coin. Un grand gaillard ne risquait rien ici, enfin, c'est ce qu'il espérait au fond de lui. Dans le pire des cas, sa mère l'avait bien prévenu : Si ça dégénère, ne rentre surtout pas dans le tas, on est des étrangers, personne ne croira un homme qui sait bredouiller quelques phrases préfaites.

Honnêtement, il s'était sentit un peu insulté mais elle n'avait pas totalement tort. Ici, il sentait à quel point il était différent des autres. Autant par l'apparence que le mental et cela lui avait fait un grand bien au début. Maintenant, le plus dur restait à venir : Avoir une vie sociale.

Il se serait bien laissé tenter par un des nombreux bars voir même des restaurants, mais rien que les prix l'en dissuadait. Il n'allait décidemment pas dilapider l'argent de sa mère en alcool, surtout pas pour le consommer tout seul comme un idiot.

En regardant autour de lui, il repéra rapidement les fêtards sortir et entrer dans les bars, certains déjà bien éméchés alors que la nuit était à peine tombée. Il entendait ça et là des mots, des rires et des chants. Une petite symphonie de la populace nocturne, chantant ses joies ainsi que ses déboires, en témoignent les insultes volants au loin pour un rendez-vous visiblement non respecté.

Au fil de sa balade, il commença à plus observer les gens, surtout ceux et celles qui sortaient. Il pensa d'abord essayer d'aborder quelqu'un, juste pour le défi de se dire apte à interagir mais quelque chose attira son attention.

Une jeune femme, seule, venait de quitter un bar, sans être accompagnée. Sans doute un énième rencard tombé à l'eau, se dit Ivan. Cependant un homme sortit peu de temps après elle, prenant la même direction. Il jugea un instant la situation, restant en retrait, se demandant s'il s'agissait là que d'une coïncidence ou d'un acte délibéré.

Curieux, il entama à son tour une petite filature pour en avoir le coeur net. Il devait protéger cette jeune demoiselle, s'assurer qu'il ne lui arrive rien. Entre la musique et l'alcool, personne ne l'entendrait si jamais il venait à lui faire du mal.

Quand il fut totalement sûr de lui et assez éloigné de la foule, il se décida enfin à agir en accélérant le pas, se plaçant face à l'inconnu, confrontant directement celui qu'il avait désigné comme suspect.

« Hey. Pourquoi tu la suis? Tu veux lui faire quoi? »


Simple et direct, il ne pouvait pas faire mieux et plus clair, enfin, sauf si on retirait son accent prononcé. De toute façon, il n'avait pas de quoi en rajouter une couche pour le moment.

Il y a des affaires que Kira n’aime pas avoir, combien même l’idée de suivre une jolie femme n’était pas déplaisante, le fait qu’un mari peu confiant lui demande ce genre de chose… Enfin bref, il était payé au moins et c’était l’essentiel pour lui. Cependant, il arrivait que parfois, la personne qu’il suivait été réglo, que ce soit un homme ou une femme et dans les moments-là, c’en était limite gênant ensuite de se trouver face au conjoint en sachant pertinemment que ce dernier ne faisait tellement pas confiance à une personne qui était censé être l’amour de sa vie qu’elle en venait à engager un détective pour la filer.

Kira avait donc accueilli l’homme dans son bureau et ce dernier exposa les faits de façon claire. Sa femme semblait avoir de plus en plus souvent rendez-vous avec un supérieur dans le but d’avoir une offre d’emploi un peu plus intéressante que son poste de base. Le mari ne comprenait pas pourquoi cela se passait dans un bar et lorsqu’il avait demandé à sa femme, cette dernière lui avait répondu que c’était pour rester discret vis-à-vis de son employeur de base et qu’elle devait logiquement prendre une place que ce dernier visé également.

En soi, ça tenait plutôt bien la route. Si son employeur apprenait qu’elle comptait le doubler, il se ferait une joie de trouver un motif de licenciement. Peut-être que cette histoire était honnête et que les démarches prenaient du temps. Mais effectivement, il pouvait comprendre les inquiétudes de l’homme quand sa femme rentrait à presque minuit.

- Le mariage, vous savez…
- Oui m’en parlé pas.

Kira lâcha avec un ton presque saoulé en réponse à l’homme. Lui-même avait eu son propre mariage dans la tronche il y a peu et autant dire que ce n’était pas toujours tout beau, tout rose.

Il entreprit donc sa première soirée de filature et jusque-là, la femme n’avait pas du tout mentit. Son trajet était pile comme elle l’avait décrit à son mari. Direction un bar, mais seule, contrairement à ce qu’on aurait pu penser, ils devaient sûrement se retrouver là-bas. Sauf que non, après une demi-heure à pianoté sur son téléphone ce qui laissa le temps a Kira de prendre un café tout en gardant son appareil photo dans la poche de son manteau noir.

Elle finit par se lever et se dirigea vers la sortie après un dernier regard vers son téléphone, Kira attendit un petit peu puis sortit à son tour sans savoir qu’il était suivi. Il ne fallut donc pas longtemps avant qu’un homme un peu plus grand que lui se place en face en l’invectivant et demandant pourquoi il suivait la femme.

Kira jaugea l’homme un instant puis soupira en ayant reconnu vaguement l’accent qu’il ne connaissait que trop bien grâce à sa femme.

- Bon sang, je déteste la Russie…

Lâcha-t-il à voix basse après un soupir blasé avant d’observer l’homme avec un grand sourire.

- Rien ! Je fais juste mon travail, alors excuse-moi, mais le devoir m’appelle. Bonne soirée !

Kira passa rapidement sur le côté, espérant que cela suffirait… Mais il savait pertinemment que non.

Un soupir et quelques mots bas, voici la première réaction du fameux stalker. En le voyant, l'homme ne sembla pas du tout surpris ni même réellement impressionné par sa démarche. Au contraire, il l'entendit marmonner quelque chose qu'il ne réussit pas à déchiffrer. Seul le ton emprunté lui donna clairement l'impression d'être un obstacle. Ivan tenta au mieux de reconnaître un mot que l'inconnu lui passa à côté, parlant d'un soit disant travail et du devoir.

Troublé par sa démarche et son arrogance, il ne semblait pas prêt du tout à le laisser continuer son petit manège qui ne lui laissait rien présager de bon. Ivan n'étant pas de ceux qui baissent les bras, il se ressaisit aussitôt. La nuit noire, les lampadaires illuminant à peine la rue, l'ambiance même de ce quartier lui disait qu'il fallait agir.

Si en plus de ne montrer aucune gêne à faire ça il semblait habitué, c'était peut-être parce que ce type était dangereux. Aucun facteur ne jouait en sa faveur.

Et qui dit danger, dit réaction immédiate de la part du russe.

Il lui emboîta le pas aussitôt, posant sa main sur l'épaule du japonais en espérant l'arrêter ainsi. Là, il n'avait pas droit à l'erreur et il suffisait d'un rien pour que tout dérape. Pourtant, aussi alerte qu'il était actuellement, aussi calme il paraissait à l'exterieur.

Seule sa poigne sur l'épaule trahissait sa montée d'adrénaline.

« De quel travail tu parles? Tu es pas normal à faire ça. »

Sa phrase n'était pas très correcte, mais au moins il y mettait du siens pour le ralentir au maximum afin  que la jeune femme puisse s'en tirer saine et sauve. S'il voulait gagner encore plus de temps, il allait devoir user de son imagination et de ses piètres compétences linguistiques, autant mieux dire que ça avait de grandes chances de tourner au drame ou au ridicule.

Il prit à peine le temps de réfléchir à une stratégie, n'importe laquelle. Après tout, il fallait se méfier de ses propres voisins et, ça, il ne le comprenait que trop bien.

En le jaugeant du regard, il comprit bien vite que si ça en venait aux mains cela serait serré. Sa carrure, pour un japonais, lui sembla bien plus développée que celles des autres. Il en était de même pour sa taille et son assurance.

En réalisant un peu mieux le bourbier dans lequel il venait de se mettre, il réalisa que ce type était peut-être armé. Un couteau, une arme de poing, tout se dissimule sans aucun soucis. Peut-être même que ce type avait quelque chose du genre sur lui, et peut-être même qu'il allait s'en servir avant qu'il n'en voit la forme. Cette idée le plongea en état d'alerte total, se mettant à scruter avec suspicion le moindre de ses gestes.

Plutôt moi qu'elle, pensa-t-il avant de tenter de prolonger un semblant d'échange entre eux.

« Si elle te voit elle va avoir peur. Ne lui fais pas de mal. »

Tenter de le mettre à la place de la victime lui sembla être la seule solution pouvant prolonger son monologue. Il n'avait pas le vocabulaire nécessaire pour lui lancer de quelconques menaces sérieuses, ni même lui expliquer clairement son point de vue.

Si maintenant il s'en fichait alors il était définitivement quelqu'un qu'il fallait arrêter, même si il avait plus de chances de s'attirer des ennuis qu'autre chose, il préférait faire sa propre petite justice lui-même. Il n'avait déjà aucune confiance dans les forces de l'ordre chez lui, alors ce n'était clairement pas dans ses réflexes d'appeler qui que ce soit pour lui porter secours.