La galère, un choix de vie. [PV : Eiji]

Chancelant dans la rue, Ivan se souvenait de ses promenades avec sa mère alors qu'il n'était qu'un enfant. Ses yeux émerveillés regardaient tantôt les boutiques illuminées, tantôt les passants aux airs blafards. Ces deux éléments lui paraissaient surréalistes voir même incompatibles, n'ayant sans doute pas pris le temps de se remémorer des atrocités économiques qu'il avait subit indirectement.

Pourtant, ici et aujourd'hui, il comprit enfin la raison de son incompréhension juvénile. Comme beaucoup, ils regardaient juste sans jamais rien prendre. Trop beau, trop cher, trop inutile aussi sans doute. Le monde avait évolué sans eux, dans cette immense société de consommation de masse il se sentait perdu. Il ne comprenait toujours pas l'utilité du dernier téléphone à la pomme, ni des options toujours plus poussées des véhicules. Lui, il aime le simple, le concret, peut-être un peu comme lui. Pour être acheté, il faut d'abord une utilité au produit, ainsi qu'un prix abordable.

En parlant de prix il regarda ce qu'il avait sur lui et, en vue de sa tête dépitée, il n'était pas difficile de comprendre que cela n'était pas bon signe.

Quelques pièces et trois billets, à peine de quoi payer les courses que sa mère lui avait demandée. Un vrais bon petit garçon avec son argent de poche. S'il a de la chance, peut-être pourra-t-il se payer un petit bonbon avec ce qu'il lui restera.

Ivan finit par atterrir devant l'un de ces petits supermarchés où tout semblait tellement condensé qu'il était sûr de se perdre en moins de temps qu'il ne lui avait fallut pour lire sa petite liste. Découragé mais tout de même obligé d'y faire un tour il s'immisca dans le bâtiment, jugeant du regard les allées en espérant parvenir à ses fins.

Entre les gâteaux et les confiseries en tout genre, le russe sembla toujours aussi interloqué face à la diversité présente sans qu'aucun de ces articles ne lui rappelaient son pays. Entre les personnages et les créatures étranges dessinées dessus, il finit par se frayer un chemin jusqu'à ce qu'il lui semblait être une employée.


Son visage se crispa aussitôt. Les interactions non voulues étaient celles qu'il détestait le plus. Il la jugea du regard un petit instant avant de jeter un oeil à sa liste, se laissant tout de même tenter par le besoin d'un petit peu d'aide.

« Euh... Vous savez où se trouve les..? »

Avant même qu'il n'ai eu le temps d'en dire plus, la jeune femme recula en hochant négativement de la tête tout en bredouillant des excuses confuses.

N'étant pas vraiment en mesure dd'entendre et de comprendre sa réaction, il tenta de se concentrer pour ne serait-ce que comprendre un mot de tout ce charabia, mais rien n'y faisait, Ivan restait là, comme un idiot, sans rien comprendre.

Désespéré, il voulut se rapprocher un petit peu dans le but de capturer au moins un mot ou un verbe avant qu'un homme ne fasse son apparition, intervenant entre les deux personnes.

Visiblement, c'était vraiment son jour de chance.

« Elle est avec moi, laisses la tranquille! »

Ivan, perdu avec sa petite liste de courses entre les mains, haussa un sourcil en se demandant si c'était sincère ou s'il voulait juste jouer les justiciers devant sa moitié.

Buté comme il est, il ne lâcha pas l'affaire et fit un pas de plus vers le japonais, voulant lui montrer la liste même si elle était rédigée en cyrillique.

« — Non, je reste. Je veux juste savoir si vous savez où...

— Je t'ai dis de partir sale pervers! »

Coupé dans sa veine tentative d'explications, le russe se figea totalement en se demandant s'il n'avait pas fait une bourde quelque part dans le choix de ses mots ou bien dans ses gestes. Peut-être son air stoïque ou bien son rapprochement devaient lui faire défaut, mais était-ce au point de se faire rejeter de la sorte? Il hésita un instant devant les deux individus, cherchant du regard un petit peu d'aide pour comprendre mieux la situation qui stagnait bêtement. Tout ce qu'il espérait au fond de lui était que la cause n'était pas son accent qui hachait nettement chacune de ses syllabes, même si sa mère l'avait prévenu maintes fois que les étrangers étaient des cibles faciles et qu'au moindre pas de travers, c'est lui qui allait être mis en cause.

Drôle de journée. Eiji avait été envoyé chez un client dont le siège se trouvait quartier Fuhou. C'était assez rare qu'ils se déplacent. On a pas forcément besoin d'être sur place pour faire son travail de comptable ! Surtout pas à l'ère du numérique... Mais là, ce n'était pas rien : contrôle fiscal. Alors Compta Inc avait été appelé en urgence pour tout remonter, tout vérifier, tout préparer. Eiji étant à jour de ses dossiers courants, c'était tombé pour sa pomme. Comme souvent, on aimait bien lui donner les dossiers un peu compliqués. Ça ne le gênait pas spécialement, au moins ça l'occupait plus longtemps ! Parce que même s'il finissait en avance, il était obligé de rester jusqu'au bout de ses heures habituelles...

Eiji était donc parti pour l'autre bout de la ville sans trop se poser de questions, et il s'était plongé dans les dossiers de l'entreprise sans voir le temps passer. C'était effectivement un sacré bazar ! Il y en avait dans tous les sens et le jeune homme avait dû passer la journée à courir entre les différents services pour récupérer les différents documents dont il avait besoin, le tout de la part d'employés qui y mettaient plus ou moins de bonne volonté, et plus souvent moins que plus d'ailleurs... Il avait du mal à comprendre pourquoi il était ainsi vu comme l'ennemi public à abattre alors qu'il était là pour l'aider. Les gens avaient l'air de prendre un malin plaisir à lui compliquer la tâche, ce qui n'avait aucun sens. Plus vite on lui donnerait les informations dont il avait besoin, plus vite il repartirait non ?

Malgré tout, il avait fait de son mieux. Même s'il détestait son travail, il estimait que c'était important de bien le faire. Après tout, on lui avait confié cette responsabilité, et on lui avait appris à assumer ses responsabilités, c'était important. Il y avait passé la journée, mais vu la réticence des employés, il avait fallu qu'il finisse par admettre sa défaite, il devrait revenir plusieurs jours. Qui plus est, avec tout ça, il avait oublié de prendre une pause déjeuner ! Résultat, maintenant, Eiji réalisait qu'il mourrait de faim... un arrêt dans une épicerie s'annonçait nécessaire.

Le problème quand on fait des courses en ayant faim comme ça, c'est qu'on est incapable de savoir ce dont on a envie... Eiji parcourt les allées, son envie changeant à chaque nouveau produit. Les mains dans les poches de son blouson qui jurait avec le costume de salaryman qu'il portait en dessous, il passe d'un rayon à l'autre, envisageant presque chaque aliment. Comme dans les dessins animés, ça faisait presque une petite danse dans sa tête qui lui faisait oublier complètement le reste du monde.

Sans doute que c'est pour ça qu'il n'entendit pas tout de suite ce qui se passait. Mais une voix retentit, traitant quelqu'un de pervers. Hein ? Eiji sortit alors de sa rêverie pour observer la situation, comme d'autres le faisaient d'ailleurs. Un couple d'un côté, c'était lui qui avait élevé la voix, et un homme en face, un occidental, qui avait l'air complètement perdu. Et même s'il ne comprenait pas la situation, il connaissait suffisamment l'air perdu de cet homme. Lui-même l'avait affiché tellement de fois... En tout cas, quoi qu'il se soit passe, il n'avait pas l'air dangereux... moins qu'un homme qui criait en tout cas...

"Excusez moi, mais vous ne croyez pas que peut-être il y a là un malentendu ?"

Après tout c'était possible non ? C'était facile de mal se comprendre...
Aussitôt, l'homme reporta sa colère sur Eiji.

"Mais de quoi jme mêle ???"

Décidément, on lui aurait dit ça souvent aujourd'hui ! Bon d'accord, cette fois-ci il était peut-être en tort... Voyant que le gérant commençait à regarder dans leur direction, Eiji se dit qu'il valait mieux agir vite pour éviter que la situation dégénère d'autant plus.

"Si vous voulez je m'occupe de monsieur, comme ça vous serez tranquille..."

Sans attendre de réponse, il se dirigea doucement vers l'homme, s'interposant entre lui et le couple, et le salua rapidement.

"Bonjour, je m'appelle Watanabe Eiji. Vous avez l'air perdu... vous avez besoin d'aide ?"

Voilà, peut-être qu'en demandant de son côté à lui, il y aurait moyen d'éclaircir la situation plus facilement...