Un plan capillotracté [PV Alex]

Jour J. Et très honnêtement, tu ne sais pas très bien comment tu te sens à cette perspective. Quelques mois ont passé. Vous êtes resté plus ou moins en contact avec Finn, même si en dents de scie. T'as pas trop cherché à savoir, c'est ses affaires. T'avais déjà bien assez des tiennes à gérer en attendant. Vous aviez simplement échangé quand l'un ou l'autre avait des informations complémentaires pour préciser l'opération. Tu avais glané ce que tu avais pu de tes anciens camarades, histoire d'avoir une idée un peu plus précise de l'emploi du temps de Tetsuya. Tu avais été obligé de lâcher du lest pour éviter de trop les impliquer non plus. Si ça merdait, inutile d'emmener trop de monde avec toi...

De ton côté, tu n'avais pas non plus eu la paix pour autant. Alors certes, c'était pas toutes les semaines, mais ça restait régulier. À croire que c'était devenu un jeu pour eux. Aucune doute, on visait une guerre des nerfs plus qu'autre chose. Tetsuya espérait soit qu'on t'achève, soit que tu finisses par venir ramper à ses pieds. Il allait pas être déçu du voyage... Si votre plan fonctionnait, il serait cramé dans tout le milieu. Si ça marchait pas... et bah tu serais sans doute cramé tout court, sur la place publique de préférence.

Bien pour ça que tu avais du mal à savoir comment tu te sentais maintenant qu'on y était. Tu commençais à en avoir un peu marre de ces conneries. Ça durait depuis des mois. Tu avais dû te faire porter pâle au boulot une semaine entière, prétextant une "grippe", alors qu'en fait tu avais pris un mauvais coup au visage, qui avait quelque peu enflé... et encore, tu te considérais chanceux... certes, de nouvelles cicatrices étaient venus rejoindre les autres, et tu avais dû te réhabituer aux bleus et aux contusions, mais jusque là, que du superficiel. Sauf que ça n'allait pas durer. Aujourd'hui, c'était donc, en théorie, le point final.

En théorie... il restait encore beaucoup beaucoup d'inconnues dans ce plan. Ça pouvait marcher pour de bon, et tu pourrais passer à autre chose. Ça pouvait supprimer Tetsuya, mais tu te retrouvais avec ces plus fidèles fervents au cul. Tetsuya pouvait lui aussi décider de tricher au moment où il t'aurai reconnu. Finn pouvait mettre trop de temps, te laissant le temps de perdre. Ou bien tu pouvais effectivement ne pas réussir à filer. Et quelques autres scénarios possibles. Quand tu penses que tu avais retourné tout ça encore et encore dans ta tête, et que ce plan, c'était le meilleur, ça montrait bien à quel point t'étais quand même dans la merde !

D'autant que Finn restait une inconnue à lui tout seul... la possibilité qu'il retourne (encore) sa veste pendant l'opération était complètement envisageable. Et s'il ne changeait pas de camp, tu avais quand même une dette envers lui. Et vue la gueule de la dette, t'étais loin d'être tiré des ronces... Bordel, y a des moments comme ça où à part sauter dans une machine à remonter le temps, tarter la gueule à ton toi de 16 ans histoire de lui apprendre la vie, tu vois pas bien ce que tu es censé faire pour régler la situation.

Paye la gueule de la meilleure option possible ! Un plan kamikaze... qui reposait sur l'effet de surprise, et le fait qu'il était tellement improbable qu'il y avait une chance pour que ça marche. Si tout ça était quand même assez inquiétant, tu n'allais pas mentir, tu étais quand même un peu excité par la soirée en perspective. L'ambiance des arènes te manquent quand même un peu, et c'est différent que de se faire cueillir en rentrant chez soi....

Tu retournes tout ça dans ta tête, le visage impassible, dos au mur, attendant Finn au point de rendez-vous. Ta main joue négligemment avec l'un des rasoirs, histoire de s'échauffer les doigts. Tu avais décliné l'offre de Finn de trouver du matériel. Tu avais ce qu'il te fallait. De toute façon, dans l'arène, seules les armes de poings ou blanches étaient autorisées. Seule la sécurité était armée. Fallait bien éviter les débordements...

Ne manquait donc que Finn, et vous étiez parti !

Et voilà, on y était enfin, le fameux jour J de ce plan complètement foireux. Putain, qu’est-ce qui m’avait pris d’accepter d’aider ce type ? Je ne lui devais rien, on n’était pas amis… Pourquoi je l’avais pas simplement laissé se noyer dans sa merde ? C’était son problème après tout…

Toutes ces pensées avaient longuement tourné dans mon esprit pendant que j’étais en pleine convalescence, après ce moment hardcore qu’une membre du Mitsubai-gumi m’avait fait subir à cause d’une mission que je n’avais pas suffisamment bien menée de son point de vue. Ces 15 jours de torture, suivi d’un bon gros mois à ne pas pouvoir décoller de mon appartement… Je devais avouer que ça m’avait bien calmé. J’avais pas mal hésité à dire à Kenji que je me retirai, que je le laissais s’occuper de ses embrouilles lui-même, mais il avait continué à m’envoyer des messages et comme un con, j’avais continué à lui répondre. Comme un con, j’avais repris mon glanage d’informations une fois complètement rétabli. Et comme un con, j’étais sorti de chez moi aujourd’hui pour le retrouver à notre point de rendez-vous. Je n’en avais pas parlé à Axel, mais si jamais ça se passait mal et que je me retrouvais encore dans un état proche de la mort, elle allait certainement se charger elle-même de m’achever…

Très franchement, en marchant dans la rue, les mains dans les poches de mon pantalon, j’étais en train de me demander si cette fille, en me torturant, m’avait pas juste déconnecté quelques câbles là-haut… Ethan et mes collègues avaient raison : je cherchais vraiment beaucoup trop les ennuis pour ma propre survie. 15 jours de torture n’avaient pas suffi à me calmer visiblement. Je m’allumai une cigarette pour essayer de me détendre. J’étais affreusement stressé, mais plus encore, j’étais terriblement excité à l’idée de jouer encore une fois avec le feu. Foutu côté impulsif…

J’étais habillé de façon un peu plus décontractée qu’à l’accoutumée, ayant troqué le costume que je portais souvent en tant que mercenaire pour un jean et un sweat à capuche, histoire de mieux me fondre dans la masse une fois à l’intérieur. Je finis par bien vite rejoindre Kenji, facilement reconnaissable avec sa tignasse blanche. Je lui fis un petit signe de la tête, préférant ne pas donner dans les élans de salutation trop voyants, m’approchant avec un sourire en coin alors que j’écrasai ma cigarette au sol.

« Yo ! Alors, t’es prêt ? Tu comptes pas te débiner j’espère ? J’ai pas envie d’avoir fait tout le chemin depuis chez moi pour rien. »

J’essayais de plaisanter un peu pour détendre l’atmosphère, mais j’avais du mal à tenir en place. Me décalant un peu sur le côté, je jetai un coup d’œil au chemin qu’on allait prendre pour rejoindre notre destination finale (que j’espérais pas aussi finale que ça quand même).

« Okay, tu permets que je m’en grille une dernière avant qu’on y aille ? Ça va nous permettre de revoir un peu les grandes lignes du plan même si bon… J’imagine qu’il va y avoir plus d’impro qu’autre chose… On rentre ensemble ou tu me laisses y aller le premier, histoire qu’on nous associe pas ? Faut dire qu’avec ta tignasse et ta réputation, on risque de vite te repérer et de me surveiller si jamais on s’imagine qu’on est venu ensemble. Ou alors t’y vas en premier, justement pour détourner l’attention pendant que moi je me pointe… »

Tu espérais que Finn allait pas être trop en retard. Ou que s'il te plantait, il aurait au moins la politesse de t'en avertir, que tu saches que tu serais obligé de te débrouiller par toi-même. En plus, en attendant tu cogitais. T'en avais bien conscience que c'était un plan de merde. Plus vite tu passerais à l'action, plus vite tu arrêterais de t'imaginer dépecé au milieu de l'arène.

Finn arrive enfin en te faisant un signe de tête. Tu réponds d'un signe de main après avoir remis ton rasoir à sa place dans ta poche. Il était donc bien venu... un scénario catastrophe de moins. Il en restait combien à éliminer avant de pouvoir confirmer que tu avais échappé au pire ? Tu réponds en souriant.

"Ce serait con d'être venu jusque dans cette ville pour me débiner maintenant ! Mais je commençais à me demander si t'allais pas me planter. Content de te voir là."

C'était à peu près sincère. Même si tu savais bien qu'il était pas là de gaité de coeur. Il y avait quelque chose d'un peu rassurant à pas te lancer là-dedans complètement tout seul, un peu comme à la grande époque avec les potes du gang... Ça, ça t'avait manqué, t'allais pas le nier. Même si la fidélité de Finn restait à prouver, au moins pour le moment ça partait pas trop trop mal. Penser sur le long terme ça n'avait jamais été ton point fort de toute façon !

"Fais. Je t'invite même si tu veux."

Tu avais acheté un paquet de clopes sur le chemin. Quitte à n'en fumer que trois ou quatre par ans, tu trouvais que c'était un bon jour pour les enchaîner. Et puis bon, pour le principe... tu lui proposais un plan suicidaire, qu'il y vienne par pur intérêt ou pour t'aider, tu pouvais bien lui offrir une clope. Tu te sers dans le paquet et lui tend pour qu'il puisse se servir. Ranges le paquet et allumes ta cigarette, tires une taf, reprends.

"Si on veut te donner toutes les chances, c'est sans doute mieux que t'arrives après moi oui. D'autant que doit bien y avoir quelques têtes qui te connaissent, si on peut éviter que tu te fasses repérer c'est mieux... Pour le reste... comme tu dis, ça risque d'être de l'impro. Ça ira pour toi ?"

Vous aviez de toute façon calé le plus gros à l'avance. L'heure n'était plus vraiment à voir et revoir les mêmes éléments si vous n'aviez rien de nouveau à apporter. À moins que ça ne soit le stress et l'excitation qui cumulés font que tu n'arrivais plus à tenir en place.

"Sur ce... jte retrouve en enfer donc, ou au point de rendez-vous, en fonction de ce qui se présente en premier ! Fais gaffe à toi !"

Tu pars devant, un dernier signe de la main à son attention sans te retourner. Tu marches sans plus réfléchir, maintenant que le corps est en action, c'est plus facile. Arrivés sur place, tu descends l'escalier vers l'immense arène aménagée. C'est fou ce qu'on peut planquer dans un hangar... Le bruit n'a pas changé. La cohue, même l'odeur. L'ambiance. Tu te présentes à la table des inscriptions, jettes la mise d'inscription. Lorsque tu donnes ton nom, le mec en charge des inscriptions relève brusquement la tête et un petit silence s'installe autour de la table. On t'indique alors que tu passes au combat suivant. Toi qui voulais pas perdre ton temps à réfléchir, te voilà servi...

Le combat en cours termine dans les dix minutes, il avait semble-t-il à peine commencé. Tu restes calme au milieu du brouhaha des cris et des applaudissements, pas trop soucieux d'être discret. C'est plutôt l'inverse qui est recherché... et de tout façon, avec ta tignasse blanche, c'est foutu d'avance... L'arbitre t'appelle alors toi et ton adversaire. Tu montes calmement sur le ring, toujours les mains dans les poches, l'angoisse se fait silencieuse, laissant la place à l'excitation. Un murmure parcourt la foule, des yeux surpris, quelques cris de joie même. Tu aperçois quelques têtes que tu reconnais, des mecs du gang... Tu restes impassible, puis souris franchement, attendant le signal du départ.

« J’t’avoue que j’ai pas mal hésité ! Faut dire que c’est un beau plan de merde quand même ! Mais bon, comme j’suis un peu fêlé, c’est justement parce que ce plan est foireux que je pouvais pas me débiner ! J’ai beaucoup trop envie de savoir comment on va réussir à s’en sortir. »

Mon sourire était plein de malice, mon regard plein de détermination. Je me doutais que ça ne pourrait pas QUE bien se passer, mais cette foutue adrénaline que je ressentais face au danger et à l’imprévu me rendait beaucoup trop accro. Un vrai drogué… Et en parlant de drogue…

« Oh ! Chouette ! Merci beaucoup ! J’aurai pas tout perdu en venant ! »

Je pouffai et pris une cigarette dans son paquet, sortant mon propre briquet pour me l’allumer. J’inspirai profondément en tirant sur mon bâtonnet de nicotine, sentant tout ce poison se répandre dans mes poumons. Je savais que c’était mauvais, surtout que je fumais beaucoup mais… Il fallait bien mourir de quelque chose, non ? Surtout que ma mort allait peut-être survenir bien plus vite que prévu si on se chiait dessus ce soir…

« Yep ! Ça devrait aller ! Disons que j’ai connu pire qu’une petite virée dans une arène de combat ces derniers temps. J’te laisse ouvrir la marche en tout cas, et fais gaffe à pas te faire tuer toi non plus ! Oublie pas qu’on doit aller se manger des petits-fours avec plein de gens coincés dans ton académie de riches ! »

Je pouffai et le regardai s’éloigner pendant que je terminai ma cigarette. Putain, ça y’est, j’en pouvais plus. Une de mes jambes tremblait sous l’excitation, et ma main libre tripotait nerveusement l’extrémité de ma manche. Mon cœur battait à tout rompre. Je flippais ma race, mais j’avais hâte de rejoindre Kenji à l’intérieur.

Sa silhouette finit par disparaître de mon champ de vision et j’écrasai ma cigarette sur le bitume, jetant ensuite mon mégot dans la poubelle la plus proche. Sautillant un peu sur place, comme un sportif s’apprêtant à entrer sur le terrain, je finis par expirer longuement et profondément, rabattant ma capuche sur mes cheveux gris, histoire d’être un peu plus discret. Kenji n’avait pas tort après tout : moi aussi je commençais à avoir une petite réputation dans les bas-fonds de cette ville !

Les mains dans les poches de mon pantalon, je me mis en marche en direction de l’arène. Je passai la porte et fut assez surpris de me retrouver plongé dans une telle atmosphère, comme on en voyait dans les films. La foule, le bruit, les hurlements, les encouragements, les coups qui pleuvaient et les gens qui se pressaient contre le grillage délimitant la zone de combat… C’était incroyable, un peu comme si je venais de découvrir un nouvel endroit sous terre, fourmillant de vie et de violence. J’avançai en laissant mon regard azur glisser un peu partout, histoire de repérer les lieux. J’avais réussi à glaner quelques infos sur les membres de l’ancien gang de Kenji et je savais donc à quoi ressemblaient certains d’entre eux. Je me mêlai à la foule, me laissant porter par le mouvement, jusqu’à me retrouver non loin de l’arène. J’affichai un petit sourire en voyant mon équipier en train de se préparer à affronter son premier adversaire. Il avait l’air vraiment prêt à en découdre, ce qui me faisait me demander s’il avait vraiment raccroché en devant prof à Nara.

Le combat commença et je me perdis dans la contemplation de son corps qui bougeait presque gracieusement, sa chevelure blanche dansant derrière lui. C’était limite hypnotisant mais… Je n’étais pas là pour ça. Je bougeai donc de ma position pour me rendre près du bureau où les paris étaient enregistrés. Si je ne me trompais pas, c’était par ici que je pourrais trouver le registre. J’imaginai que celui-ci ne serait pas exposé à la vue du premier venu, mais il ne devait certainement pas se trouver bien loin.

« Bonsoir ! C’est encore possible de parier ? J’voudrais parier sur la beauté aux cheveux blancs dans l’arène syouplait. »

Je déposai une belle somme d’argent sur la table, le type s’empressant de s’en emparer et d’enregistrer mon pari. Pendant ce temps, je laissai mon regard se perdre sur ce qui se passait derrière lui. Une porte gardée par deux gorilles. Fermée forcément. Et ils étaient armés… Bon, il allait falloir que je trouve un moyen de les faire bouger de là… Ce type qui prenait les paris ne serait pas dur à mettre hors-jeu, mais les autres… Je finis par tourner les talons pour m’adosser contre un mur un peu plus loin, histoire de garder un œil sur l’arène et faire genre je m’intéressais vraiment à ce combat, mais aussi pour surveiller cette foutue porte en même temps. Réfléchis Alex… Fais-le vite et bien…

L'excitation et l'adrénaline n'avait pas mis longtemps à faire taire l'angoisse. C'était pas le moment de flipper. Et puis tout revenait, l'odeur, le bruit, la cohue... Difficile de nier qu'il y avait une sensation de Home sweet home qui n'était pas désagréable du tout. Souvenir d'un endroit où tu avais été une sorte de dieu fût un temps. Après l'année que tu venais te passer à te retrouver à faire toutes les corvées de merde dont personne ne voulait pour te racheter une conduite, c'était terriblement tentant. Tu jouais avec le feu, et pas uniquement parce que c'était un plan purement et simplement suicidaire, mais aussi parce que c'était flirter avec un monde et des instincts que tu avais eu du mal à mettre derrière toi... ça, c'était plus difficile à avouer...

Pas le temps d'y penser. La cloche sonne. Premier combat lancé. Tu retrouves la douce sensation du corps qui décide à ta place. Pas à réfléchir. Pas à tout considérer. Tu gères. Tu accuses quelques coups, en rends. Ton jeu de jambe tient la route. Tu te sens porté. Comme si ton corps tout entier se rappelait comment faire là où toi tu croyais avoir oublié. Ha on est loin des combats organisés en salle pour le sport... La sensation d'être vivant, pleinement vivant, efface le reste et te pousse à bouger. Finalement, au bout de dix minutes, le type déclare forfait. Un poignet cassé quand on compte que sur son uppercut, forcément, ça coupe nombre de possibilités...

Sauf que... le type n'a pas le temps de descendre et l'arbitre de siffler le début de la rencontre suivant que tu te prends justement un coup de poing monumental en pleine gueule, en plein dans l'arcade sourcilière qui éclate au passage. Sous l'impact, tu recules de trois mètres, où un coup de pied violent t'éclate les reins, te propulsant en avant. Tu réussis de justesse à te redresser, mais l'autre enchaîne aussitôt. Tu passes quelques secondes à te faire balader de l'un à l'autre, les coups ne te laissant pas le temps de réagir ou de comprendre la situation. C'est d'autant plus difficile que ton arcade saigne abondamment et que ton oeil gauche ne te sert plus à grand chose... Tu ne pensais pas qu'on en arriverait à enfreindre les règles aussi vite...

Enfin, tu profites d'une seconde de relâchement dans le rythme des deux adversaires, attrapes un de tes rasoirs dans ta poche et en décoche un immense coup au premier qui se rapproche, lui laissant une entaille énorme dans la paume de la main. Le mec s'arrête dans sa course, stoppé par la douleur. Ce qui te laisse le temps de l'envoyer au tapis d'un coup de pied en pleine tête. Tonnerre d'applaudissement, tu t'attendais à devoir gérer son comparse dans la foulée, mais une voix s'élève : Tetsuya.

"Quelle surprise de te voir là ! Désolé on vient juste de m'en informer, obligé de t'envoyer le comité de bienvenue un peu en retard... c'est qu'on ne s'attendait pas à te voir parmi nous."

Mouais, en retard... t'espérais qu'il aurait fallu un peu plus de temps. D'un côté, ça t'arrange qu'il sorte de son trou maintenant, ça te laisse le temps de reprendre ton souffle. Tu te redresses, affiches ton habituel air impassible et un immense sourire mi amusé mi mauvais. Autant l'arcade qui pisse le sang ça n'aide pas pour le côté impassible, autant pour le sourire teigneux, c'est assez redoutable !

"Mais avec plaisir voyons ! J'ai cru comprendre que tu voulais me voir alors je me suis dit que j'allais venir vous rendre une petite visite. J'aime beaaaaucoup ce que t'as fait avec la déco. Vraiment très sympa."

Tu parades, tu sais que ça l'énerve. Toute façon t'es là pour ça. Gagner du temps, occuper l'attention. Juste que tu pensais pas qu'on en viendrais à enfreindre les règles si vite et que t'allais te retrouver à deux contre un. T'avais aussi espérer ne pas avoir à sortir tes rasoirs tout de suite. À partir de là c'était l'escalade. La baston c'est une bonne partie de l'esbrouffe. Si tu restes droit, sourire aux lèvres et répartie légère, c'est bien pour donner une impression de maîtrise. Tu ne prends même pas la peine d'essuyer le sang sur ton visage. Inutile de leur faire savoir que ton oeil gonfle déjà et que tu y vois de moins en moins, que t'as l'impression d'avoir le dos en morceaux, et plus inquiétant, une gène dans ton bras droit. C'est léger pour le moment, mais ça n'augure rien de bon. Fake it until you make it. Pas le temps de s'en inquiéter. C'est un problème pour le toi du futur, ce qui implique qu'il y aura un toi du futur. Donc à partir de là... tout roule.

"T'es pas très ponctuel tu sais. On t'a jamais dit que c'était pas respectueux de laisser sa famille en plan comme ça ?
-Ha si. Plein de fois même. Genre tu sais, par ma vraie famille.
-T'es toujours aussi grande gueule putain.
-T'as qu'à venir me la fermer toi même. Après tout c'est toi qui voulait que je vienne.
-Si y a que ça..."

Le type de tout à l'heure fonce à nouveau vers toi, et un autre s'apprête à rentrer dans l'arène, prêt à remplacer celui que tu as mis au tapis. On est donc reparti... plus qu'à espérer que Finn mette pas trois plombes, parce que si on te réserve ce genre de merdes à chaque tour, tu risques bien de revivre le scénario d'il y a quelques années. Mais ça aussi, il vaut mieux l'enterrer loin et ne pas y penser...

Bon eh bien, finalement… Je n’eus pas tellement besoin de réfléchir à une stratégie pour faire sortir le loup de sa tanière, Kenji avait parfaitement fait le travail ! Après une première victoire dans l’arène, le pauvre s’était fait remarquer et… Wow… Je grimaçai en imaginant la douleur qu’il devait ressentir après s’être autant fait défoncer. En tout cas, il n’y avait plus à tortiller : si je ne me dépêchais pas de régler le cas du livre de comptes, Kenji allait vraiment morfler et ne s’en sortirait sans doute pas. Je ne le connaissais pas, ce n’était pas un ami, mais ça m’embêtait quand même d’avoir une mort sur la conscience ! Surtout que bon… Malgré tout, je l’aimais bien.

Je fis mine d’être vivement surpris et intéressé par la suite des événements, en profitant pour détailler Tetsuya du mieux que je pouvais depuis mon emplacement. Je me retins même de pouffer en entendant Kenji. Quelle grande gueule sérieux… Il cherchait vraiment la merde, mais ça m’arrangeait ! Sa diversion était parfaite ! Tetsuya était bien trop obnubilé par son ancien subalterne pour regarder dans ma direction. Surtout qu’en sortant de sa cachette pour se rapprocher de l’arène où se trouvait Kenji, il avait embarqué quelques-uns de ses gorilles. Bon, pas de chance pour moi, il restait toujours les deux mêmes, plantés comme des piquets devant leur porte. Je me rapprochai d’eux, l’air excité comme un gros newbie qui assistait pour la première fois à des combats de ce genre (ce qui n’était pas tout à fait faux en fait).

« Eh bah ! Ça a tendance à vite déraper ici on dirait ! C’est vraiment cool ! Est-ce qu’on peut encore parier ? Vu qu’ils sont à deux contre un, ça se passe comment ? En tout cas, la beauté des îles semble assez confiante… Oh, et c’est qui le type là-bas ? Le patron ? Ils ont l’air de se connaître et de pas trop s’apprécier… »

Forcément, comme il fallait s’y attendre, les deux gorilles me repoussèrent en me disant que je n’avais rien à faire par ici. Souriant en coin, je fis mine de me rapprocher de nouveau de l’arène. Wow… Kenji avait définitivement bien morflé alors que le plan n’en était qu’à ses prémices ! M’enfonçant dans la foule, et une fois assuré qu’on ne me repèrerait pas, je me mis à hurler suffisamment fort pour qu’on puisse m’entendre le plus loin possible.

« Allez Kenji ! Te laisse pas faire ! Mets leur un bon coup de rasoir dans la tronche ! »

Mes voisins me regardèrent d’un air surpris, avant de finalement se laisser prendre par mon « engouement ». Après tout, le pauvre était tellement considéré comme un outsider total que c’était assez grisant de vouloir le soutenir en espérant qu’il pourrait renverser la situation !

Finalement, ma voix avait eu l’effet d’une allumette tombant sur une traînée de poudre. Le calme qui avait régné à l’arrivée de Testuya fut aussitôt balayé et la foule semblait prise d’une certaine hystérie, pressée de voir la suite de cet affrontement. Les gens tapaient sur le grillage, se massaient contre, et le patron des lieux avait dû se reculer un peu pour éviter de se faire prendre dans ce mouvement de foule. J’en avais profité pour me reculer et revenir vers mon point de départ.

« Ça va chauffer ! On peut parier sur le fait que la beauté des îles va tous les mettre au tapis et qu’il va pouvoir aller s’occuper personnellement du patron ? On dirait bien que c’est lui sa cible ! »

J’avais dit ça au type qui enregistrait les paris, jetant un regard aux deux gorilles derrière qui semblaient se demander ce qu’ils étaient censés faire. Ils échangèrent un signe de tête entendu, l’un d’entre eux s’éloignant finalement en direction de son patron, pour lui assurer une protection supplémentaire. L’autre ouvrit la porte et décida finalement de pénétrer dans la pièce, la refermant derrière lui. J’esquissai un sourire, avant de fixer intensément l’homme face à moi, un sourire malsain sur les lèvres. Je sortis alors un couteau de la poche de mon pantalon.

« Contente toi de prendre les paris. Si tu décolles ton cul de ta chaise ou si tu l’ouvres, je te ferai bouffer ta langue. Oh et il va sans dire que je sais où tu vis, toi, ta femme et ton gosse. Sois sage Hajime. »

Pendant ces longs mois de préparation, j’en avais profité pour me renseigner autant que possible sur le personnel de cette arène, notamment sur le type qui tenait les paris. C’était plus facile de les faire rester calme en menaçant leur famille, surtout lui. D’après ce que j’avais cru comprendre, il semblait plutôt du genre papa poule, et il s’était fait entraîner dans cette galère un peu malgré lui.

Quoi qu’il en soit, assuré qu’il ne me poserait pas de problèmes, je rangeai le couteau dans ma poche et entrai dans la pièce le plus discrètement possible. Maintenant il allait falloir que je mette rapidement ce gorille au tapis et que je retrouve ce foutu registre ! Le temps nous était compté, je n’avais pas une seconde à perdre !

Bon c'était pas tout de faire le malin, mais maintenant il allait falloir assurer... Clairement ça s'annonçait pas bien. Il était semble-t-il hors de question qu'on te laisse jouer dans les règles. Le comité d'accueil n'avait pas perdu de temps et très vraisemblablement, tu étais condamné à devoir faire des un contre deux tout du long... le tout sans pause. En bref, même si tu t'en sortais bien, ils finiraient par t'avoir à l'usure. Ça c'était pas comme dans les jeux vidéos, les combats dans la vraie vie, même quand on les gagne, ça bouffe de la vie... Ceci dit, penser aux jeux vidéos te rappela rapidement Amelia. Un sourire se dessina sur ton visage. Energy boost, ça l'aurait fait rire. En tout cas toi ça te faisait marrer. Ce que n'a pas l'air d'apprécier le plus proche de toi.

"Qu'est-ce qui te fait rire ?
-Rien, juste imaginer ta gueule au sol ça me fait marrer !"

Et de joindre le geste à la parole. Tu lui balances un coup de lame que le mec esquive de justesse dans la panique. Tu en profites pour lui envoyer un coup de pied dans les jambes, le foutre à terre et lui éclater les dents au sol. Pas de chance pour toi, l'autre en profite pour t'envoyer un coup de pied en pleine tête, à nouveau sur le côté gauche... décidément... Le mec revient à la charge, tu as juste le temps de lui envoyer un coup de rasoir en plein dans la jambe et de te dégager. Tu recules et trouves le moyen de te relever. Ton oeil gauche est définitivement hors jeu... entre l'arcade qui pisse le sang et l'oedème qui grossit, c'est même pas la peine. Parfait ça, avoir qu'un oeil quand t'es seul contre deux ! Enfin contre deux... en tout cas jusqu'au moment où Testuya s'ennuiera et décrétera la fin de la partie... Putain puis t'as le crâne qui vibre en plus... t'avais presque oublié ce que ça faisait de se prendre une branlé ! Le mec au sol se relève, la bouche en sang.

"Ha bah tu vois que c'est drôle ta gueule comme ça !
-Connard !"

Et c'est reparti. Son coéquipier revient à la charge en même temps, mais pour le coup, ton coup à la jambe semble l'avoir clairement calmé. Équilibre plus fragile. Tant mieux, parce que les deux en même temps, c'est compliqué. La clameur monte, tu crois vaguement reconnaître la voix de Finn dans le bordel, mais tu t'y arrêtes pas plus. T'as pas vraiment que ça à foutre. En vrai, tu n'as même pas la place dans ta tête pour réfléchir à ce qu'il peut être en train de faire de son côté. Il est bien assez grand pour se démerder tout seul... Tu balances des coups de rasoir pour tenir les deux à distance cherchant une ouverture. Le mec à la jambe tranché s'approche trop vite, prend un coup dans le bras, et entre sa jambe et le bras, se déséquilibre, tu en profites pour lui foncer tout droit dessus et l'achever. Un coup de poing en plein ventre, un coup de coude en pleine tête, le gars finit au sol. Et à nouveau l'autre en profite. Tu prends un coup assez violent dans le bras droit pour te faire lâcher prise et lâcher un grognement de douleur. Le gars te saisit à la gorge et commence à serrer.

"Tu sais ce qu'on fait aux traitres dans ton genre ?"

À ton image, le gars aime un peu trop le spectacle, il aurait dû serrer plus fort... malgré le manque d'air tu réussis à forcer ton bras droit à bouger, et lui plante ta lame aussi profond que possible dans le bras. À lui de hurler de douleur. Tu parviens à te dégager, crache à terre en reprenant ton souffle.

"Je t'avoue que je suis curieux de voir ça !"

Il y a un problème avec ton bras. Tu t'en rends bien compte. Ça tire au moindre mouvement, comme si quelque chose était sur le point de craquer. Va falloir que tu te serves un peu plus du gauche. Tu sais faire, pas un soucis, mais il est quand même un peu moins précis... tu peux pas prendre le risque de perdre ton bras droit... Tu te redresses, te masses la gorge, relèves la tête et jettes un regard haineux vers Tetsuya et ses chiens. Finn a dû commencer de son côté pour que les lieutenants se ramènent. Tu te dégages deux deux qui geignent et se traînent vers le bord de l'arène. Tu craches à tes pieds, par défi et fais un signe de main à Tetsuya l'air de l'inviter. À croire que c'est plus fort que toi, jusqu'au dernier moment faudra que tu joues au con !

"Je suis quand même déçu que tu ne daignes pas m'accueillir toi-même. Franchement, après toutes ces années, après tout ce qu'on a vécu. Ça compte pas plus que ça pour toi ?
-T'es chié de balancer ce genre de conneries sale batard !
-Dis donc, surveille ton langage ! Rappelle moi qui a trahi l'autre ?"

C'est quand même assez jouissif de le voir perdre son sang froid ! Et puis semer le doute dans la foule, c'est drôle. Mais là, c'était ptet la goutte d'eau. Les deux sbires se préparent. Et surtout, on t'envoie le grand chouchou, le champion en titre. Le prochain combat se fera à l'arme blanche des deux côtés... Malgré tout, tu continues de sourire. Ça promet !

J’étais aussi concentré que possible sur mon objectif, malgré la clameur qui montait toujours plus au niveau de l’arène. La foule était tellement déchaînée que je n’entendais ni Kenji ni Tetsuya, et je ne pouvais rien voir non plus à cause de ma position. J’espérais juste que mon compère allait s’en sortir… Le pauvre, j’avais mal pour lui à l’imaginer en pleine baston dans cette arène… Il avait beau être un ancien membre de gang, ça n’empêchait pas qu’il s’était rangé pendant un certain temps. Peut-être qu’il avait perdu quelques réflexes utiles ?

*Putain Kenji… Essaie de pas crever dans cette arène ou de pas trop morfler… Ca va être galère pour te sortir de là sinon…*

Inspirant profondément, j’entrai donc dans la fameuse pièce où se trouvait, je l’espérais du moins, ce foutu livre de comptes. Il n’y avait plus qu’un gorille à l’intérieur pour me barrer la route. Je comptais donc sur la menace que j’avais proférée à l’encontre du preneur de paris pour qu’il n’ameute personne et me laisse faire ma petite affaire tranquillement dans mon coin.

Je tâchai de me faire le plus discret possible, mais il y avait un tel boucan autour de l’arène que le garde du corps tiqua quand la porte s’ouvrit pour me laisser passer. Coup de chance, il crut qu’il s’agissait de son collègue qui revenait après s’être assuré que son boss allait bien.

« Tout se passe bien ? Ils ont réglé son compte à cette raclure de Kenji ? »

Quel abruti sérieux… Il était tellement persuadé qu’il s’agissait de son pote qu’il ne prit même pas la peine de se retourner pour s’assurer de l’identité du nouvel arrivant ! Et je n’allais certainement pas laisser passer une telle chance ! Je m’avançai en grognant un « Hum », histoire de jouer le jeu et me faire passer pour son collègue. Le pas lourd, pour essayer d’imiter la dégaine de l’autre type, je m’approchai donc de ma cible et, une fois suffisamment près de lui, je lui bondis dessus, me collant dans son dos en plaquant ma main sur sa bouche. Mon autre main s’était saisie de mon couteau, le dégainant pour le placer aussitôt contre la gorge du gorille.

« Ferme-la. Ça serait dommage de foutre du sang partout dans le beau bureau de ton boss tu crois pas ? »

J’avais l’avantage avec ma stature imposante, mais l’homme avait été bien formé et il me mordit assez violemment la main pour s’offrir une ouverture et essayer de renverser la tendance. Surpris, j’avais retiré ma main en grognant, mais je ne lui laissai pas le temps d’alerter les autres ou même de dégainer l’arme qu’il avait à sa ceinture. Ce n’était vraiment pas le moment de me prendre une balle ! Lâchant mon couteau qui tomba au sol, j’optai donc pour une autre approche non létale. J’étais flic après tout… J’avais beau être infiltré et endosser un rôle de mercenaire, je n’étais pas encore prêt à franchir cette ligne de non-retour. Je lui envoyai donc un coup puissant au niveau de l’estomac, suffisamment fort pour lui couper toute envie de donner de la voix. Le souffle court, il se plia en deux. J’enchainai aussitôt avec un gros coup de coude au niveau de son dos, histoire de le clouer au sol pour de bon.

« Franchement, je sais pas où votre boss vous recrute, mais il a pas l’air d’être très regardant sur vos compétences… »

Je ne m’étais vraiment pas imaginé que ça serait « aussi simple »...

Je détachai d’un geste rapide la cravate du type pour lier solidement ses mains et éviter qu’il ne fasse une connerie une fois qu’il ne serait plus sonné. J’en profitai aussi pour lui coller un bon gros bout de scotch sur la bouche, après m’être saisi du rouleau qui traînait dans un coin. C’était vraiment le bordel là-dedans…

« Bon… Si j’étais le boss… Où est-ce que je rangerais mon livre de comptes… »

C’était quand même un truc super précieux, mais vu la qualité de ses chiens de garde, peut-être que ce Tetsuya n’était pas aussi précautionneux que ça ! En tout cas, moi je l’étais : j’avais bien pris soin de récupérer mon couteau tombé au sol avant de laisser le gorille gésir à moitié inconscient par terre. Je n’avais plus qu’à partir à la chasse au livre !

Les choses devenaient sérieuses. Enfin encore plus. Tu sentais bien dans le fond que la situation n'avait rien à voir avec les dernières fois où tu avais passé du temps dans une arène. La différence clé, c'est que les types en face de toi sont très clairement déterminés à te buter. Là où à l'époque, on cherchait le KO, ou l'abandon. Et le problème, c'est que toi t'étais pas un tueur. Certes, tu ne t'étais jamais autorisé à éliminer l'hypothèse que quelqu'un avait pu mourir des suites d'un combat face à toi. Mais c'était autre chose de tuer quelqu'un de sang froid. C'était d'ailleurs bien cette rébellion-là qui t'avait valu ta blessure au bras comme punition.

Et le plus gros problème, c'est que Tetsuya le savait très bien. En bref, tu te retrouvais face à des gens qui avaient décidé que tu mourrais ce soir d'une façon ou d'une autre alors que toi tu n'étais toujours pas sûr d'être capable de franchir cette ligne. Ça c'était un paramètre que tu n'avais pas complètement pris en compte dans l'élaboration de ce plan génial. Tant pis, c'était trop tard pour regretter, trop tard pour reculer.

Tu décides de prendre les devants et fonces dans le tas, à la dernière seconde, tu repasses ton rasoir dans la main gauche, histoire d'avoir l'effet de surprise en ta faveur. Tu réussis à atteindre celui que tu visais, en travers du torse, la coupure est profonde et devrait le ralentir un minimum. La suite va vite. Tu pares les coups comme tu peux, passes ton rasoir de la main gauche à la main droite. Mais ça reste compliqué, tu es à la traîne et ton bras droit répond de moins en moins bien. Tu réagis sans réfléchir, peinant à suivre le déroulé des actions de chacun. Heureusement, tu es suffisamment bien entraîné pour que ton corps puisse réagir tout seul !

Tu décides de focaliser ton attention sur celui que tu as déjà blessé, le chouchou de Tetsuya. Inutile de se disperser. Tu tâches de concentrer sur lui tout en parant ou évitant les coups de l'autre. Si tu peux éliminer au moins celui-là... le plus doué... au moins symboliquement ça t'achètera un peu de temps. Il est plus costaud que toi, tout en hauteur et en muscle, mais malgré tout tu es plus rapide. De coup de rasoir en coup de rasoir tu réussis à le coincer dans un coin de l'arène, où tu enchaînes les uppercuts du droit dans l'estomac jusqu'à ce que l'autre se retrouve à genoux à vomir... et que ton bras droit lâche pour de bon.

Tu évites de justesse le deuxième combattant qui te fonçait dessus... mais prend quand même un coup de couteau dans la hanche... Ça saigne, mais ça aurait pu être pire ! Super chouchou est KO, entre les coupures et les vomissements, il arrivera pas à se remettre debout de si tôt. L'autre doute. La foule hurle. Tu souris pour l'effet.

"Je suis toujours pas mort choupinou ! Va falloir viser mieux que ça !"

Même si en vrai, le bilan s'alourdit de ton côté. Ton bras droit est un poids mort, et si tu t'es suffisamment entraîné pour être ambidextre, ta main gauche a quand même moins de force. À ceci tu n'as toujours plus qu'un oeil (ça n'allait pas magiquement désenflé !), plusieurs coupures sur les bras et le torse, et une blessure à la hanche. Tu ne peux plus attendre Finn. Qu'il ait fini de son côté ou non, il faut que tu trouves un moyen de te tirer d'ici. Sinon tu ne ressortiras plus du tout. T'as de la chance, t'as encore tes jambes intactes !

Tu souris de plus belle et te retournes fièrement vers Tetsuya.

"Dis moi, c'était ça ton nouveau chouchou ? Je comprends mieux pourquoi je te manquais autant ! Tu sais quoi ? J'ai une idée !"

Tu te fais le plus grand possible pour haranguer la foule.

"Messieurs dames ! Que diriez-vous d'offrir un vrai spectacle à notre hôte ? Franchement, le pauvre homme manque clairement de combattants dignes de ce nom ! Vous ne voulez pas qu'on lui offre un vrai spectacle ? Vous avez pas l'impression de parier dans le vent ? Franchement j'en suis à 5 - 0 ! Ce type se fout de votre gueule !"

Tu continues ainsi un instant, provoquant plus précisément certaines personnes de la foule. La cohue monte, tu continues de jeter de l'huile sur le feu... jusqu'à ce que la foule éclate et envahisse l'arène dans une bagarre générale décousue... Tu entends Tetsuya hurler pour qu'on te chope... il va être temps de tirer ta révérence !

Le dernier gorille mis hors service, je n’avais plus qu’à me grouiller de vite trouver ce livre de comptes pour le détruire et filer d’ici. Ce n’était sans doute qu’une question de temps avant qu’un autre employé de Tetsuya ne débarque, et si je pouvais éviter au maximum d’avoir à me battre… ça m’arrangeait. J’avais déjà suffisamment morflé il y avait quelques temps et je me disais aussi que si jamais ça se passait mal pour Kenji dans cette arène, j’allais devoir réussir à m’extirper d’ici en le traînant avec moi. Ce qui, inévitablement, rendrait la tâche bien plus compliquée !

Quoi qu’il en soit, pour l’heure, je devais toujours trouver ce foutu bouquin. J’allais aussi vite que je le pouvais, envoyant valser tout ce qui me passait sous la main et qui ne correspondait pas à mon graal. Il me fallut bien une dizaine de minutes, après avoir retourné la moitié de la pièce, pour réussir à trouver ce que je cherchais. Cet enfoiré l’avait vraiment bien planqué ! C’était quoi cette idée de faire un double-fond sur l’assise d’une chaise, sérieux ? Enfin, pour le coup, ça avait été une brillante idée étant donné que j’avais pensé à chercher des possibles double-fonds au niveau des tiroirs de son bureau, mais pas sur sa chaise ! Bref, maintenant que je tenais ce foutu bouquin entre mes mains, il ne me restait plus qu’une chose à faire : le détruire.

L’idée d’une nouvelle diversion me vint en tête alors que je sortais mon briquet et laissai mon regard parcourir la pièce complètement sens dessus dessous. Un sourire étira mes lèvres en coin, et je mis feu au livre avant de le poser soigneusement à proximité de plusieurs autres documents papier qui s’enflammeraient certainement très rapidement, ce qui permettrait au feu de se propager suffisamment vite pour alerter tous les hommes de main de Tetsuya. Ça nous ferait une belle occasion, à Kenji et à moi, de nous tirer d’ici le plus discrètement possible. Je laissai donc le feu prendre et j’attrapai le type que j’avais mis K.O. pour le soulever.

« Allez, j’suis sympa. Comme tu m’as pas trop posé de problèmes et que t’es resté sage, j’vais te sortir de là avant que ça devienne une vraie fournaise. »

Je le soulevai en lui tirant le bras, et sortis de la pièce aussi rapidement et discrètement que possible. Fort heureusement pour moi, Kenji semblait lui aussi avoir lancé une belle diversion de son côté. À moins que ce ne soit juste un hasard… Mais qu’importe. Le principal était que la voie était libre de mon côté ! J’abandonnai l’homme de main à l’entrée de la pièce et lui mis une bonne gifle pour le sortir de sa léthargie, avant de mettre les voiles pour me rapprocher de l’arène.

*Putain, c’est le bordel… T’es où Kenji ?*

Le public se pressait dans l’arène pour une magnifique baston générale. Je n’eus d’autres choix que de m’y jeter moi aussi, devant esquiver des coups et m’en prendre, mais aussi en donner, pour réussir à avancer dans cette marée humaine.

« KENJI ! »

Je n’avais plus le choix que de l’appeler en criant aussi fort que je le pouvais. C’était tout bonnement impossible d’espérer lui mettre la main dessus en errant simplement parmi ces gens ! Il devait absolument me faire un signe pour que j’arrive à le sortir de là ! En espérant qu’il ne se soit pas déjà fait la malle… Le temps pressait, le feu allait rapidement se propager et il ne fallait surtout pas manquer cette occasion pour fuir !

Foutre le bordel, c'était fait... Rien de tel qu'enrager les foules... puis bon, dans ce genre d'endroit, les gens s'enrageaient facilement ! Finalement la plupart n'attendait que ça, ils avaient juste trop la trouille de se lancer pour de bon. Alors suffisait de la bonne étincelle et voilà... Tu pensais quand même pas que ça prendrait si facilement ! Enfin en attendant tu te retrouves pris dans une espèce de baston générale où les coups tombent un peu au hasard. Évidemment, il y a des malins qui veulent tenter de te foutre KO. Forcément, foutre à terre le nouveau favori au tapis, ça ferait du plus bel effet. Mais tu as suffisamment les nerfs et il y a bien assez de bordel autour de toi pour t'en sortir avec quelques simples coups sans gravit.

Tu parviens à t'extraire de la cohue et à te retrouver sur le côté, grimaçant un peu. Tu regardes autour de toi, t'aurais bien voulu profiter du bordel pour en foutre une dans la gueule de Tetsuya. C'est vraiment pas l'envie qui te manque... Mais il semble être hors de vue. Il a senti le vent tourner sans doute... toujours aussi courageux ! De toute façon la tête commence à te tourner quelque peu par moment... T'as pris bien assez de coup sur la gueule pour ce soir, inutile de jouer avec le feu... Parlant de jouer avec le feu... C'est de la fumée qui sort des bureaux ? Et tu crois reconnaître une odeur de brûlé dans le fond. Potentiellement l'oeuvre de Finn, et une autre raison de filer pour Tetsuya !

Bref, il va être temps de sortir de ce bordel ! Si c'est bien un incendie que Finn a concocté, additionné à la baston générale que t'as lancé en bas ça va vraiment déclencher une cohue de tous les diables ! Colère et panique, dans quelques minutes personne se rappellera que t'as foutu les pieds ici. Tu repars donc, gardant le mur sur ta droite pour éviter de prendre des coups dans le bras au passage, repoussant les gens du bras gauche. Il s'agit maintenant de viser la sortie. Quand tu entends qu'on t'appelle. Finn ! Au moins lui il a l'air en bon état, c'est toujours ça. Dans le fond, tu l'apprécies un peu quand même, et tu t'en serais voulu qu'à vouloir te suivre dans ton merdier il finisse aussi abimé que toi. Tu restes quand même convaincue que c'était ton merdier, et donc que ça aurait été mieux que tu puisses le gérer seul... Tu arrives prêt de lui et lui attrapes l'épaule.

"Finn ! Bah alors qu'est-ce tu fous, tu te la coules douce ?"

C'est sûr que vous êtes pas tout à fait dans le même état ! Mais vous ferez l'inventaire plus tard...

"Faut qu'on se tire, ouvre le chemin je te couvre."

Tu peux de toute façon pas faire beaucoup plus avec ton bras mort. Tu te débrouilles donc pour rester dans son sillage et limiter la casse. Une fois dehors, vous reprenez à courir, direction le point de départ, à l'écart du bordel... Vous trouvez le moyen de rentrer dans un hangar vous mettre à l'abri. Tu t'appuies au mur, reprenant ton souffle. Maintenant que vous êtes tiré d'affaire, tu te rends bien compte de la masse de douleur qui te sert de corps. Et tu ne veux même pas imaginer de quoi ça a l'air de l'extérieur ! Malgré tout, tu rigoles...

"Haha ! 5 à 0 putain... j'ai encore le feu sacré ! Bordel tu m'étonnes qu'il veuille que je revienne, j'ai couché son nouveau champion d'une main..."

Enfin bon c'est bien beau de faire le malin, mais t'es quand même bien content de pouvoir prendre une pause... juste... s'assoir un peu et reprendre ton souffle. T'as quand même perdu pas mal de sang, rien de vital, mais quand même, ça tourne... et ton bras t'inquiète, ta main gauche de ne le lâche plus, histoire de le maintenir en place le plus possible. La course t'a complètement achevé !

"On devrait pouvoir bouger d'ici une trentaine de minutes... le temps qu'ils soient plus occupés par l'incendie que le reste. Bonne idée ça d'ailleurs tiens."

Après ça, vous pourrez reprendre votre route chacun de votre côté... reste à voir comment tu vas rentrer ! Ça va être compliqué d'acheter un billet de train dans cet état ! Ça non plus t'y avais pas pensé !

Ma mission étant terminée, j’étais donc reparti en vitesse et en toute discrétion de ce bureau pour me fondre dans la cohue de l’arène, que j’imaginais assez aisément avoir été provoquée par Kenji. Mais avec tout ce bordel, c’était devenu une galère sans nom de lui remettre la main dessus ! Moi, j’étais en pleine forme. Je m’étais tout juste pris quelques coups avec le gorille que j’avais mis K.O. avant de m’occuper du livre de comptes, et je m’en prenais d’autres pendant mon avancée dans cette marée humaine complètement déchaînée, mais, globalement, ça allait quand même très bien. Surtout en comparaison avec ce qui m’était arrivé quelques mois auparavant… Sauf que j’imaginais aussi aisément que ce n’était pas le cas de mon camarade de plan foireux. Je ne savais même pas s’il avait réussi à survivre ou, du moins, à ne pas finir par tomber dans les vapes après un coup de trop. Mais avec l’incendie que j’avais initié, je devais vite m’occuper de le retrouver pour le faire sortir d’ici.

L’appelant dans la foule, essayant de repousser au maximum les gens qui me tombaient dessus pour me frapper dans la folie de l’instant, je finis par sursauter en sentant une main se saisir de mon épaule. Je me retournai vivement pour fixer la personne qui se trouvait derrière moi et… Un profond soupir de soulagement passa mes lèvres.

« Putain, tu m’as fait flipper ! J’étais en train de me demander si j’allais pas devoir me mettre à quatre pattes pour retrouver ton corps piétiné par tous ces cinglés ! »

Bon, par contre… Kenji semblait être dans un sacré mauvais état… Je m’en voulais un peu d’être en aussi bonne forme en comparaison…

J’hochai vivement la tête avec un air sérieux quand il me proposa de nous ouvrir la voie, et m’assurai donc de dégager suffisamment le passage pour que nous puissions nous sortir de là. Je jetai souvent des regards en arrière pour m’assurer que Kenji tenait bon. Le pauvre, il me faisait de la peine à être dans un tel état, surtout que bon… niveau soins, je n’allais pouvoir m’occuper que des premiers soins de base. Vu son état, il allait devoir consulter quelqu’un de beaucoup plus qualifié que moi !

Quoi qu’il en soit, après avoir lutté contre tous ces gens qui commençaient à paniquer à cause de l’odeur de fumée qui se propageait dans l’arène, nous parvînmes à nous extraire de cet endroit sordide pour trouver refuge dans un hangar un peu plus loin. Je repris mon souffle et jetai un regard inquiet à mon partenaire qui se mit à rire. Un soupir passa mes lèvres, avant qu’un sourire ne les étire légèrement en coin. Ce type me ressemblait beaucoup trop, je comprenais bien mieux pourquoi Axel flippait autant de ne pas me voir rentrer avec toutes ces missions que j’enchaînais ! On ressentait beaucoup trop d’adrénaline face au danger, et même les blessures ne suffisaient pas à nous calmer. La preuve, après deux semaines à me faire torturer, j’étais quand même retourné dans le feu de l’action… Pas un pour rattraper l’autre quoi !

« Ouais enfin… J’suis pas sûr qu’il veuille toujours te récupérer vu ton état actuel ! T’as toujours le feu sacré, mais t’as quand même sacrément morflé ! J’me sens presque coupable de m’être seulement pris quelques coups ! Ça va aller pour repartir ? Tu vas pouvoir marcher ? »

Je ne lui laissai pas vraiment le choix et fit un bref contrôle de son état. C’était pas ultra grave, mais il allait avoir besoin d’une bonne nuit de sommeil avant de songer à repartir à Nara.

Je pouffai à son compliment, affichant un sourire fier.

« Ouais, j’avoue que c’était une plutôt bonne idée ! Quitte à détruite le bouquin, je me suis dit que ça pourrait bien foutre les nerfs à ton ancien boss que je mette le feu à tout ce qu’il y avait dans son petit bureau ! D’ailleurs, il est bordélique bon sang ! J’ai galéré à foutre la main sur ce livre ! Enfin bref, on attend que tu aies repris ton souffle et que ça se calme dehors, et je te ramène chez moi. Espère pas que je vais t’aider à rentrer chez toi dans cet état, tu vas avoir besoin de te reposer et j’ai de quoi faire les premiers soins aussi, en attendant que tu ailles voir quelqu’un de plus compétent. Et tu peux pas refuser, sinon j’t’assomme vite fait bien fait et j’te traîne jusque chez moi. Dis toi que tu auras le grand honneur de goûter à ma spécialité comme ça : des nouilles instantanées ! »

Je pouffai et m’assis à ses côtés, soupirant profondément en regardant le plafond du hangar. Je ne distinguais rien avec la pénombre, mais je ne pouvais pas en détacher mon regard, mes mains allant chercher une cigarette que je coinçai entre mes lèvres avant de l’allumer. La soirée était encore loin d’être finie pour nous, et ce n’était certainement pas ce soir que Kenji rentrerait chez lui !